Aujourd'hui, on est bien décidé à se faire des amis avec le premier volet d'une série qui consiste à trouver cinq artistes meilleurs que ton groupe préféré. Et dans le cas où c'est pas Muse, ricane pas trop non plus : ça tombe sur eux pour cette fois mais qui sait, la prochaine fois ce sera peut-être le tien...

En préambule, il me semble indispensable de clarifier dès céans ma position à l'égard de Muse: j'ai aimé ce groupe d'un amour sincère et inconditionnel de longues années durant, jusqu'à un sinistre soir de concert au Stade de France où trois de mes amis furent expulsés manu militari de l'enceinte pour avoir eu l'outrecuidance de pogoter sur Plug In Baby. C'était en juin 2013 et, cerné par la France de Joséphine Ange-Gardien qui n'avait - le pensais-je - rien à foutre là, je compris que ma relation avec Muse ne tenait qu'à l'unique fil de la nostalgie. The Resistance m'avait déçu, The 2nd Law désespéré mais j'étais alors en plein déni. Après tout, bien des artistes ont connu des périodes creuses avant d'atteindre par la suite des sommets inédits dans leurs carrières. Il me fallut dès lors de longues semaines avant d'accepter la triste réalité : au milieu de tous ces smartphones et de leurs panurgiques propriétaires biberonnés à la Star Ac', celui qui n'avait pas - ou tout du moins, plus - sa place à un concert de Muse... C'était moi.
Oui, comme nombre d'individus ayant traversé dans la peau biactolée d'un adolescent le purgatoire intégral que furent les années 2000, j'ai aimé Muse. Sans doute beaucoup plus que je n'aurais dû, d'ailleurs. Pour les enfants du rock de ma génération nés trop tard pour avoir connu ses années de gloire, la bande à Bellamy colmatait un vide béant que la très bourgeoise scène indé était incapable de combler. Muse était alors l'unique rescapé du genre Arena rock, les seuls à remplir les stades et à tenter de maintenir au top un genre que la musique pop avait délaissé de longue date car - déjà - dépassé par le hip/hop, le metal et l'electro. A ce titre, je considère toujours Origin of Symetry comme un fleuron absolu de ce début de millénaire.
Seulement, le manque de concurrence - et donc d'émulation créative - mènera Muse à quelque peu se reposer sur ses acquis, d'abord en 2003 sur Absolution - qui demeure tout de même un très bon album - puis sur l'inégal Black Holes & Revelations de 2006, disque qui contient à la fois le seul morceau du crew qui met à peu près tout le monde d'accord (Knights of Cydonia) et celui qui fait définitivement l'unanimité contre lui (Starlight). La suite sera une lente et douloureuse décrépitude pour Muse, qui multipliera les albums dont on attend pas grand chose mais qui déçoivent quand même, jusqu'au dernier Will Of The People, un chantre du genre que je résumerai en ces mots : "je m'attendais indéniablement à pire et malheureusement pas à mieux." Mais comme je n'ai en aucun cas l'envie de me joindre à la meute de hyènes qui guigne la charogne la mousse aux lèvres à chaque nouvelle sortie de Muse - ni davantage tirer sur un corbillard, je vais plutôt m'attaquer au pire défaut du groupe, celui-là même qui pollue sa carrière depuis trop longtemps : son public fanatique ou devrais-je dire, la secte d'illuminés complètement lobotomisés qui les suit aveuglément au détriment du plus élémentaire esprit critique. Oui, c'est de vous dont je parle.

"Love is our Resistance"
Pour comprendre l'origine du problème, il faut remonter quelques années en arrière. A partir de Black Holes & Revelations, le "trio du Devon" va commencer à diviser une première fois ses propres fans entre ceux de la première heure et les nouveaux arrivants qui "ont entendu Starlight à la radio" - jusqu'alors, Muse restait un groupe du subtop dont la présence à l'antenne demeurait relativement sporadique. Une division qui devint rupture dès l'album suivant. A la sortie de The Resistance à la fin de l'année 2009, une bonne partie des premiers cités abandonneront purement et simplement le navire. Une saignée largement compensée par l'arrivée massive de nouveaux fans - encore - puisque cette innommable bouse demeure toujours l'album le plus vendu de la carrière de Muse à ce jour. Il existe cependant une autre catégorie de supporteurs sur laquelle je ne me suis pas attardé mais qui constitue pourtant de loin le corps le plus insupportable de l'armée de bondieusards rutilants qui sert de public au groupe : les "résistants" - oui, je viens d'inventer le nom, du fait qui n'ont pas lâché Muse après The Resistance.
Les "résistants" sont des individus que l'on qualifiera poliment de "spéciaux". Dans l'éventualité d'une catastrophe nucléaire, il resterait les rats, les cafards et eux. Les sous-estimer eux et leur pouvoir de nuisance serait une monumentale erreur : s'ils ont survécu à Drones, intégrez l'idée qu'ils sont capables de tout. Ces individus "différents" suivent Muse depuis leur toute première apparition télé en l'an 2000 durant le festival de Cannes, sur le plateau de Nulle Part Ailleurs. Ils étaient là, en 2001, au Zenith de Paris lors de la captation live d'Hullabaloo. Ils étaient là, en 2005 à Versailles pour le Live 8, à subir Amel Bent et Calgero en attendant la venue sur scène du trio. Ils étaient là il y a 3 000 ans, quand le ouestfold est tomb... Non rien, je m'égare. Bref, s'ils suivent Matthew Bellamy, Dominic Howard et Chris Wolstenholme depuis une époque où ils jouaient aux Eurockéennes entre deux buissons imbibés de pisse et devant cinquante pèlerins, c'est pas pour lâcher maintenant, si près du but - lequel, c'est un mystère. Muse leur appartient et, plus important encore, ils appartiennent à Muse. Corps et âme.
Hate Muse and I'll Love You
Sans doute encore traumatisé par l'époque où, tout heureux de faire découvrir Muse à leurs proches, ces derniers leur répondaient "c'est pas mal mais je préfère Radiohead", le "résistant" est allergique à la moindre critique émise à l'adresse de ses idoles. Au point de réellement en faire des réactions allergiques - il devient tout rouge et se met à hyperventiler comme Matthew Bellamy sur Sober. Emettre le moindre jugement négatif sur SON groupe, fût-il léger et nuancé, c'est courir le risque de déclencher son ire et celles de milliers de ses semblables. Mais aujourd'hui, j'ai envie de tendre la main à ces brebis égarées et leur adresser un message de paix et d'amour.
Mes amis "résistants", je me tourne vers vous en ces heures sombres dans une démarche pacifique et altruiste. Voilà maintenant deux mois que Muse a sorti son dernier album. Vous l'avez sans doute écouté plusieurs centaines de fois, scrutant chaque mesure dans une quête aussi vaine que désespérée d'y trouver une note, une sonorité, que dis-je, une branche à laquelle vous raccrocher. Malheureusement, la vérité, vous la connaissez aussi bien que moi : Will of The People est un colossal étron. Ce disque, c'est même de la giga-chiasse, n'ayez pas peur de le dire ni de le penser. Cessez de torturer vos délicats tympans avec un groupe qui n'a plus rien à vous offrir depuis plus de dix ans maintenant. Il est temps pour vous d'accepter l'inacceptable : au fond, en dehors d'Origin of Symetry, Muse c'est pas si ouf que ça. Vous le savez, je le sais, vous savez que je sais que vous le savez, je sais que vous savez que je le sais. J'ai été voir le trombinoscope des modérateurs de Muse France, vous citez quasiment tous Origin comme votre album préféré. Alors arrêtons de nous mentir.
Pour autant, ceci n'est pas la fin d'une histoire mais le début d'une autre, peut-être plus formidable encore car, voyez-vous, j'ai une merveilleuse nouvelle à vous annoncer : il existe des dizaines d'autres artistes plus talentueux encore que Muse vers lesquels orienter votre passion ardente. Et parmi cette pléiade de talents, j'ai décidé de vous mâcher le travail et de vous en présenter cinq qui rempliront parfaitement le rôle de substitut le temps que vous recouvriez l'audition. D'ailleurs, si vous pouviez tous les aimer à la fois histoire de diluer vos penchants sectaires, ce serait de bon aloi... Mais bref, je m'égare encore ! Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus...
5 - Nothing But Thieves, l'héritier légitime.

On démarre cette sélection avec le groupe le plus connu du pool et sans aucun doute celui dont la filiation avec Muse est la plus notoire - et assumée. Et pour cause : les Nothing But Thieves doivent leur fulgurant succès autant à leur talent qu'à... Matthew Bellamy.
La perfide Albion entretient un rapport particulier avec ses artistes rock. Logique, le genre a subséquemment contribué au rayonnement culturel du Royaume tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, au point de devenir l'un des piliers de son softpower avec la Premiere League, James Bond et Sa Majesté herself. Or, l'Angleterre n'échappe pas à la pénurie d'icônes rock qui frappe la scène depuis une vingtaine d'années. Conséquence : les Britanniques ont tendance à ériger très (trop) vite leurs talents émergeants au rang de phénomène, parfois avant même la sortie de leurs premiers disques. Dans le genre, Nothing But Thieves est un cas d'école. A un détail près : le groupe ne s'inscrit pas dans le prolongement de la sacro-sainte - et sans doute un poil surestimée - britpop mais dans les pas du rejeton honni qu'est Muse.
Sans doute ravi d'être "copié", lui qui est d'ordinaire coutumier de l'inverse, Matthew Bellamy et Muse soutinrent plus que de raison la jeune bande à leurs débuts, les propulsant notamment en première partie de la tournée européenne de leur Drones Tour de 2015. La même année, Nothing But Thieves sort son premier album éponyme qui reçoit un accueil critique relativement tiède. Qu'importe, sans être un raz-de-marée comparable à un Definitly Maybe, le disque rencontre un succès d'un autre temps, non seulement dans leur Angleterre natale (l'album est certifié disque d'or outre-Manche) mais aussi dans le reste du globe. Contre toute attente, la formation fondée par le vocaliste Conor Mason devint dès lors le visage du renouveau rock britannique. Un statut que leurs deux disques suivants ne feront que renforcer, pour le plus grand malheur des rock critics.
Pourquoi c'est mieux que Muse ?
A l'instar de Muse, Nothing But Thieves cultive une propension à diviser les puristes et se mettre à dos les chroniqueurs de la presse spécialisée. Leurs albums sont ainsi abonnés aux notes tout juste passables, en dépit d'un succès important et croissant auprès d'un public relativement jeune - le groupe cartonne chez les 18-30 ans... comme Muse à ses débuts. Pour autant, la vérité fera peut-être du mal à ceux qui pensent que les Libertines étaient un bon groupe mais elle est impitoyable : Le futur, c'est eux.
Si le quinté de l'Essex partage avec Muse une aptitude certaine à faire pleurer du sang les connaisseurs auto-proclamés, c'est autant par effet d'association que pour leur complexion pop. Tout comme leurs illustres mentors, Nothing But Thieves est un groupe indéniablement orienté Arena rock [ndlr : communément appelé rock stadium]. Un genre historiquement fédérateur auprès du grand public, infiniment moins auprès des médias critiques. Mais un genre qui a écrit quelques unes des plus glorieuses pages de la musique populaire du demi-siècle précédent (Queen, Aerosmith, Deep Purple...) et dont le déclin coïncide avec la déliquescence du rock tout court. Vous l'aurez compris, revoir une formation s'égarer dans ces terres si ardues à arpenter ne me chagrine pas, bien au contraire. Ce qui ne répond ceci dit pas à la question sus-posée : pourquoi Nothing But Thieves est un groupe meilleur que Muse ?
Tout d'abord, les Anglais sont autrement plus à l'aise que leurs aînés lorsqu'il s'agit de s'aventurer dans des registres powerpop, le tout sans forcément déraciner ni dénaturer les fondations rock de leur musique. On pourrait mettre ça sur le compte de l'âge mais Muse a toujours été globalement très fade dans le domaine (Starlight, Supermassive Black Hole, Undisclosed Desires, Madness). Ensuite, Conor Mason, parlons-en. Matthew Bellamy reste un excellent chanteur - en dépit d'une technique de respiration que l'on qualifiera pudiquement d'hasardeuse - mais Mason est clairement fait d'une autre engeance. Principale attraction du combo, le blondinet est un fervent adepte - comme Bellamy - du falsetto, qu'il a mastérisé à un niveau quasi-jamais entendu. Last but not least, les Nothing But Thieves sont dans une phase ascendante de leur carrière là où celle de Muse tend à stagner depuis maintenant cinq albums. De fait en 2022, il y a désormais bien plus à attendre d'un nouvel album de l'un que de l'autre...
Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus :
Le falsetto de Conor Mason, quasi sans équivalent.
Le kink du groupe pour les refrains fédérateurs et calibrés "stade", dans la droite lignée du Muse de la grande époque.
Un groupe qui fait - enfin - la jonction entre rock classique et modernisme pop sans renier ni l'un ni l'autre.
Titres les plus "Musesques" :
Excuse Me
Ban All The Music
Trip Switch
Your Blood
Futureproof
4 - Daniel Tompkins, le challenger.

Daniel Tompkins est un chanteur parmi les plus réputés - et prolifiques - du très concurrentiel milieu metal. C'est bien simple : le britannique peut absolument tout chanter. Tout. Ses capacités vocales, aux frontières des limites humaines, lui permettent d'alterner sans effort - et en un battement de cil - chant clair, growl et scream. Une versatilité qui en fait l'un des artistes les plus courtisés de la scène. Au cours des dix dernières années, Tompkins a ainsi enchaîné - et parfois même cumulé - les projets et collaborations à un rythme stakhanoviste, officiant dans des formations aux obédiences sonores disparates telles que First Signs of Frost (post-hardcore), Haji's Kitschen (heavy metal), Absent Hearts (rock atmosphérique), Skyharbor (metal progressif) White Moth Black Butterfly (indie pop) ou encore Zeta (synthwave), auxquels s'ajoutent sa propre carrière solo. Toutefois, c'est bien évidemment sa présence au micro des très appréciés TesseracT qui permet à Daniel Tompkins d'accèder à la notoriété.
Même s'il demeure difficilement dissociable de la scène prog, Daniel Tompkins est un artiste extrêmement polymorphe capable de voguer autant dans les sphères les plus niches de l'avant-garde que de s'essayer à des sonorités electro-pop, flirtant parfois même avec les frontières du hip/hop - en particulier au niveau des prods de ses albums solos. A ce titre, le Britannique est probablement bien davantage encore l'héritier de Linkin Park - et sans doute le meilleur choix pour remplacer le très regretté Chester Bennington - que celui de Muse : son dernier titre Frenzy sorti cet été n'aurait d'ailleurs clairement pas fait tâche dans la discographie de Mike Shinoda. Eminément estimé au sein de la très élitiste scène prog, Tompkins a été la voix de quelques-uns des albums les plus novateurs du genre de ces dernières années : One et Sonder de TesseracT ou encore Blinding Withe Noise: Illusion & Chaos des Indiens de Skyharbor.
Pourquoi c'est mieux que Muse ?
De prime abord, il y a bien peu en commun entre le chanteur de TesseracT et Muse, à plus forte raison quand l'on sait que Matthew Bellamy s'est longtemps montré hostile à l'idée de basculer du côté metal de la force. Sauf qu'en explorant un peu plus en détail la discographie de l'un et de l'autre, un point troublant apparaît rapidement comme une évidence : tout ce que Muse entreprend depuis quinze ans, Daniel Tompkins le fait... En mieux. La synthwave lourdingue et artificielle de Simulation Theory ? Tompkins a participé à Zeta qui, sans être non plus de la trempe d'un Gunship, est un projet bien plus cohérent dans le genre. Muse s'essaye de façon gauche et effarouchée au metal dans Will of The People ? Tompkins est le chanteur de l'un des groupes les plus respectés de la scène. Quant aux timides incursions de Bellamy vers le prog, Tompkins joue carrément à domicile dans la catégorie. Et on peut continuer comme ça sur plusieurs paragraphes. Pour être plus clair et rester concis : si vous n'avez pas cessé d'être fan de Muse après The Resistance, écouter Daniel Tompkins vous fera rapidement prendre conscience que la tarte faite-maison avec amour et sincérité aura toujours meilleur goût que celle industrielle produite à la chaîne.
Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus :
La voix angélique de Daniel Tompkins, assurément l'un des meilleurs vocalistes de sa génération.
La versatilité des projets dans lesquels il est impliqué.
Tout ce qu'essaye Muse depuis dix ans (Prog, Synthwave, Metal...), Daniel Tompkins le réussit - lui - avec en moyenne deux ans d'avance.
Titres les plus "Musesques" :
Survival (TesseracT)
Phoenix (TesseracT)
Beneath My Skin (TesseracT)
Chemical Zone (Zeta)
Tyrant (Daniel Tompkins)
3 - Suede, Muse avant Muse (et non, c'était pas Radiohead)...

Quand il s'agit de se remémorer les noms de ceux qui ont fait la gloire de la mythique scène britannique des années 90, le combo mené par le chaotique Brett Anderson fait généralement partie des grands oubliés. Une injustice monumentale pour un groupe qui a plus que nul autre contribué à remettre le rock à sa juste place en perfide Albion, c'est-à-dire au sommet.
Pionnier de la Britpop, Suede [Ndlr : comme le "daim", pas le pays] est l'archétype même de la formation maudite, minée par la drogue et les querelles intestines. Erratique en live, peu fiable en studio et mené par un chanteur dépressif et misanthrope vingt ans avant l'explosion de Twitter, le groupe est principalement connu pour avoir climatisé la scène des Brit Awards 1993 et, ce faisant, traumatisé à tout jamais une Angleterre qui avait de toute évidence dénié son héritage Rock & Roll après plus d'une décennie de Thatchérisme. Considéré à ses débuts comme "the next british wonder", le groupe sera toutefois rapidement débordé en popularité par le duopole Oasis/Blur et ne survivra ni au passage à l'an 2000, ni plus vraisemblablement encore à la lourde addiction au crack (oui, au crack) de son junkie de leader...
Début 2010, Suede revient - plus ou moins littéralement - à la vie, avec un Brett Anderson plus clean encore que les urines de Cristiano Ronaldo après un séjour à Merano. Depuis lors, le groupe s'est montré relativement productif, publiant en moyenne un album tous les trois ans, dont le dernier en date Autofiction (sorti en septembre 2022), a été unanimement salué par la critique. Pour la première fois depuis la fin du millénaire précédent, Suede atteindra avec cet opus - le neuvième de sa discographie - la deuxième place des charts britanniques, juste derrière... Muse.
Pourquoi c'est mieux que Muse ?
Régulièrement comparé à Radiohead époque The Bends à leurs débuts, Muse s'est fait une spécialité de butiner ostentatoirement dans ses multiples influences pour composer sa propre musique, flirtant parfois dangereusement avec la ligne rouge du plagiat. Par voie de fait, les mentors de la bande à Bellamy sont connus et parfaitement documentés, en premier lieu desquels l'on retrouve Radiohead donc, mais aussi Queen, Rage Against The Machine et les Smashing Pumpkins. Et là encore, Suede fait partie des grands oubliés de l'Histoire (quand ça veut pas...). Pourtant, les points communs entre les deux groupes sont étrangement paralléliques et ce bien au-delà de l'évidente ressemblance physique - et vocale - entre Matthew Bellamy et Brett Anderson...
Héritier direct de Bowie, Suede tranchait drastiquement, par son glam rock irrévérencieux et émotif, de ses congénères des 90s nettement plus feutrés et majoritairement influencés par les mastodontes de la scène indé britannique des années Thatcher, à savoir les Smiths, les Stone Roses et New Order. Paradoxalement, Suede a pourtant pavé la voie de la quasi-totalité des artistes britpop - qui le leur rendront avec bien peu de "gratitude"... Tout comme Muse, canard boiteux de la sinistre scène rock des années 2000, que Matthew Bellamy portera pourtant sur ses frêles épaules contre, non pas vents et marées, mais ouragans et vagues scélérates (quel autre groupe est parvenu à ramener le rock sur les terres saintes de Wembley durant cette période ?). Tout comme Muse, Suede était une formation hors du temps qui voguait à contre-courant de l'Histoire, avec à la fois vingt ans de retard et probablement le double d'avance : là où Matthew Bellamy déclarait l'état d'urgence dans Apocalypse Please (pas nécessairement climatique) à une époque où les vérités de Bob Al-Gore dérangeaient encore, Brett Anderson chantait la dépression quand les hôpitaux psychiatriques étaient toujours communément appelés des "asiles". Cependant...
... La musique de Suede se démarque de celle de ses héritiers par une authenticité, une finesse et une sensibilité que Muse n'a malheureusement que trop rarement atteint (Hate This & I'll Love You, Hyper Chondriac Music...). Ecouter la voix déchirante de Brett Anderson hurler sa haine pathologique du monde par une nuit sans lune, larvé dans les méandres les plus obscurs de ses propres pensées, c'est courir le risque d'explorer de sombres sentiments sans avoir nécessairement consenti au voyage. C'est sans doute pour cette raison que Muse remplit les stades... Et Suede les cabinets de psy. Autant dire que si vous avez déjà chialé sur Sing For Absolution, vous n'êtes clairement pas prêt pour Still Life. Ni pour Tightrope... Encore moins pour What am I Without You. En fait, vous n'êtres tout simplement pas prêt pour Suede.
Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus :
Brett Anderson.
La sincérité déchirante de Suede, qui a mastérisé l'art de composer des power ballad mélodramatiques et dépressives à un niveau singulièrement intense.
Le goût prononcé du groupe pour les arrangements symphoniques bien dosés.
Titres les plus "Musesques" :
Animal Nitrate
Still Life
Trash
Outsiders
Tightrope
2 - Midgar, le fils caché.

Fermez les yeux et comptez jusqu'à trois. Vous êtes maintenant dans la réalité où Muse aurait viré metal prog après Absolution - et n'a jamais, ô grand jamais composé Starlight. Une sensation de bien-être s'empare de vous ? Alors vous allez adorer ce qui suit.
Midgar est originellement un groupe anglais, formé en 2008 par Andy Wilson-Taylor et Oli Wiseman, alors tout juste âgés de vingt ans. Et si vous n'avez jamais entendu parler de Midgar, c'est normal : la formation compte moins de followers sur Insta qu'il n'y a d'habitants en Antarctique. Au cours de ses primes années, le combo (et son lineup) se cherchera quelque peu, proposant une musique oscillant entre metal alternatif et deathcore, deux genres particulièrement en vogue à l'époque. En 2013, Andy Wilson-Taylor se retrouve seul aux manettes du projet, faisant ainsi de Midgar en one-man band. C'est sous cette mouture qu'il sort la même année son tout premier album, Holographic Principe. Un nom qui sonne curieusement proche d'un certain album culte sorti en 2001. Enfin, curieusement...
Andy Wilson-Taylor est principalement inspiré par quatre groupes (bon, et peut-être aussi un peu de Final Fantasy VII mais c'est un autre débat) : Silverchair, Fighstar, Oceansize et surtout... Muse, son influence la plus criante. Attention, pas le Muse de Dead Inside, Darkside et Madness mais celui de Futurism, Bliss et Stockholm Syndrome. Sans renier - loin de là - ses racines Metal, Midgar exhume dès son premier tir ce qui fit la force de Muse à l'aube du millénaire, à savoir des mélodies accrocheuses et résolument Rock dans lesquelles s'insèrent moults éléments issus de la musique savante (Rachmaninov et Chopin, principalement). Malheureusement, le projet tombera en dormance huit années durant en raison de problèmes personnels qui détourneront Andy Wilson-Taylor de la musique. Midgar aurait pu ainsi rejoindre l'interminable liste des groupes disparus avant même d'avoir pu sortir du garage familial. Fort heureusement, ce n'était là que la fin du premier chapitre et non de l'histoire. En 2021, Wilson-Taylor et Midgar reviennent - enfin - aux affaires avec un deuxième album, le très atmosphérique Unity. Un disque qui contient un titre appelé Sunburn (tiens donc) et reprend le récit stricto sensu où il s'était arrêté : entre Origin of Symetry et Absolution...
Pourquoi c'est mieux que Muse ?
En toute franchise... Ça ne l'est pas. En dépit d'une existence officielle de près de quinze ans, le projet de Andy Wilson-Taylor est encore relativement jeune et quelques défauts majeurs empêchent pour l'heure le padawan de dépasser le maître : des compositions erratiques en qualité, une identité musicale pas encore totalement affirmée (on entend les influences du groupe sur chaque mesure) et une voix qui sonne parfois un poil trop "bg du 33" - probable héritage de la première mouture metalcore du groupe. En revanche, meilleur que Muse, Midgar a indubitablement le potentiel pour le devenir.
Avec sa formation, Andy Wilson-Taylor a entrepris de réaliser le rêve de millions de fans de la première heure de Muse déçus de l'évolution du trio à la fin des années 2000 : explorer plus en profondeur les strates creusées par Bellamy, Woltenholme et Howard à l'époque d'Origin of Symetry et Absolution. Midgar challenge ainsi Muse sur son propre terrain. Un terrain que le groupe a malheureusement abandonné beaucoup trop vite, attirés comme tant d'autres avant eux par les sirènes du succès facile de la pop édulcorée, consensuelle et sans âme. Et cette fois-ci, pas sûr que le maître conserve bien longtemps le high ground...
Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus :
L'atmosphère cinématographique et grandiloquente de Midgar, fortement influencée par la musique romantique - Rachmaninov, pas Vianney.
Des titres - et quelques parties piano - ostensiblement inspirées de quelques-uns des plus grands moments de bravoure de Muse (Space Dementia, Butterfly & Hurricanes, Ruled By Secrecy...).
Absolution et Origin of Symetry ont enfin trouvé leur héritier.
Titres les plus "Musesques" :
Prelude/Ascension
We Don't Make The Rules
Requiem
Eschatology
We Are The Faithful
1 - Leprous, les fossoyeurs.

Ovni parmi les ovnis - pour ne pas dire sursaut gamma parmi les supernovas - Leprous s'est imposé en l'espace de quelques années comme la figure de proue d'un genre en plein renouveau : le rock opératique. Un style sur lequel Muse a lorgné avec une réussite somme toute très modérée de nombreuses années durant, notamment sur l'album The Resistance. Avant d'en arriver là, c'est peu dire que le combo a connu bien plus d'une vie depuis sa création en 2004 par le vocaliste Einar Solberg et le guitariste Tor Oddmund Suhrke.
Originaires de Norvège [Ndlr : c'est le seul groupe non-britannique de cette sélection], Leprous est initialement un obscur groupe d'avant-garde metal destiné à hanter les abysses les plus obscurs de l'underground. Oui mais voilà, il s'avère que la formation a une petite particularité de rien du tout qui va leur permettre de rapidement s'extirper de cette sinistre providence : ce sont des putains de musiciens doublés de compositeurs hors-concours. En 2006, la formation - dont la moyenne d'âge tourne alors à peine autour des 19 ans - autoproduit et sort son premier album, Aeolia, avec lequel ils bafferont à peu près tout le monde au nord de l'Øresund. Une masterclass qui leur ouvre grand les portes de la légendaire scène black metal locale et leur permet d'entrer dans les bonnes grâces d'Emperor. Aux côtés des monstres sacrés de la scène norwegian black metal, les scandinaves font leurs gammes et deviennent même à partir de 2009 le backing band d'Ihsahn [Ndlr : le chanteur et co-fondateur d'Emperor]. La même année, ils sortent le premier album officiel de leur discographie canon, Tall Poppy Syndrome. Dès lors, Leprous est considéré comme LE plus grand espoir d'une scène metal prog vieillissante et en quête de renouveau - voire d'une transplantation cardiaque.
Au début de la décennie 2010, Leprous est donc - déjà - un nom qui compte. Aux côtés de Ne Obliviscaris, Haken et TesseracT, ils contribuent à ranimer et moderniser un genre prog dont l'avis de décès, rédigé de longue date, n'attendait plus que d'être publié dans les colonnes de de Ouest France, rubrique nécrologie. Les albums Bilateral et Coal (sortis respectivement en 2011 et 2013) ne feront que chauffer davantage le trône sur lequel les Norvégiens sont appelés à s'asseoir. Sauf que le trône, Einar et Tor vont purement et simplement chier dessus... Et, en prime, s'essuyer le fiak sur la couronne.
En 2014, le jeune prodige de la batterie Baard Kolstad rejoint Leprous. Un tournant dans la carrière du groupe qui va alors faire évoluer sa musique vers... Autre chose. Inclassable, le quatrième album de Leprous l'est au-delà du raisonnable, dans un style chimérique qui mélange de multiples courants, dont certains considérés comme chimiquement incompatibles. Crime de lèse-majesté, la formation adoubée par la très conservatrice sphère black metal glisse inexorablement vers, non seulement le rock mais aussi - et pire encore - la pop et l'electro. Sorti en 2015, The Congregation marque le début d'une nouvelle carrière pour Leprous, au cours de laquelle le groupe va s'échiner à créer un son à la confluence du metal, du prog, de l'atmo et des courants susmentionnés.
Pourquoi c'est mieux que Muse ?
Ah, parce qu'il y avait un débat ? Avec toute l'affection que je porte à Muse, il n'y a tout simplement pas l'once de l'ersatz de l'ébauche de l'esquisse du début d'un match entre les deux groupes. Leprous, c'est tout simplement la Champion's League. Si l'on devait faire une analogie vidéoludique pour situer la différence de niveau qui sépare les deux entités, Leprous, ce serait Dark Souls et Muse... Animal Crossing ? A l'instar de la série mythique de FromSoftware, nettement moins populaire que la célèbre licence Nintendo, les Norvégiens ne bénéficient pas de la même notoriété que leurs congénères britanniques du fait d'une musique éminemment moins accessible. Et la notoriété, c'est bien là le seul domaine dans lequel Muse domine - encore - Leprous, que d'aucuns considèrent actuellement comme l'un des, si ce n'est le meilleur groupe de rock/metal au monde. Ni plus, ni moins.
Formation difficilement classable, Leprous partage avec Muse un goût prononcé pour l'éclectisme, quitte à combiner parfois des univers artistiques antinomiques. Sauf que la bande d'Einar Solberg le fait avec une orfèvrerie chirurgicale, là où celle de Matthew Bellamy tend à multiplier les rejets de greffes. Si les albums Malina (2017) et Pitfalls (2019) ont quelque peu divisé un public qui n'avait pas encore fait le deuil de l'ère prog de Leprous, Aphelion sorti en 2021 est une réussite totale et absolue qui aura su mettre à peu près tout le monde d'accord, y compris les fans de la première heure du groupe. Précisément ce que Muse aspire désespérément à faire depuis Black Holes & Revelation...
Si vous aimez Muse, vous aimerez encore plus :
Les compositions ambitieuses du groupe, surproduites mais pas indigestes pour autant.
Les albums The Congregation, Malina, Pitfalls et Aphelion.
Qui peut s'asseoir à la table d'Einard Solberg et lui dire "je suis meilleur chanteur que toi" ? Certainement pas Matthew Bellamy. Et probablement pas Freddie Mercury non plus, d'ailleurs...
Titres les plus "Musesques" :
Below
Weight Of Disaster
From The Flame
Slave
At The Bottom
Les critères de sélection :
Être bien entendu dans un style relativement proche - voire similaire - de Muse... Et donc littéralement comparable.
Être moins connu que Muse. Quel intérêt de dire que Queen ou les Beatles sont meilleurs que Muse ? Tout le monde le sait, y compris le groupe lui-même...
Être/avoir un chanteur à la voix haut perchée.
Avoir une discographie polyvalente et métamorphique : Muse étant un groupe qui a beaucoup (trop) fait évoluer son style au cours de sa carrière, pour le meilleur (parfois) et pour le pire (souvent).
Ne pas être Radiohead.
La playlist (Deezer & Spotify) :
PS : la direction décline toute responsabilité en cas de réactions allergiques et d'hyperventilation.
Article absolument passionnant. Je me suis totalement reconnu dans la description du "résistant" et je dois concéder que l'analyse que vous faites de Muse est d'une justesse difficilement contestable. On sent que vous maîtrisez votre sujet et que vous ne tombez pas sur le groupe par pur effet de mode pour chercher à vous faire mousser ou être vendeur. En tombant sur votre papier, je pensais tomber sur un contenu destiné à juste faire le buzz. J'ai été agréablement surpris de me rendre compte que non. Si toute la presse musicale était de votre niveau, elle ne serait pas en crise depuis trente ans. Non mais quelle plume, quelle plume ! Votre style est incroyable ! Je n'ai pas v…
À part Nothing but thieves je ne connaissais pas ces groupes. Très chouette article, pas trop méchant et bien argument avec lequel je suis plutôt d’accord sur le constat en ce qui concerne l’évolution musicale de Muse. Je trouve d’ailleurs que le groupe cédait déjà aux sirènes des mélodies faciles et sans âme dès Absolution. Après j’écoute toujours leurs albums, on y trouve ça et là, parfois, quelques chansons sympathiques. Mais rien à voir avec les deux premiers album, où ces garçons composaient et jouaient avec les tripes…
Peut-être me permettrai-je de rajouter un dernier groupe ici, même si je ne suis pas sûr qu’il soit moins connu que Muse. Le chanteur a des capacités vocales hallucinantes (allez donc écouter…