Ce soir, Indal défendra à Paris sur la scène du Supersonic les titres de son prochain LP, Set The Night on Fire. Le premier disque de la formation née des décombres de Lloyd Project est attendu pour la fin de l'hiver 2023.
Périlleux exercice que d'écrire sur un groupe duquel je suis très proche et dont le chanteur s'avère être nul autre que le co-fondateur de ce site, à plus forte raison lorsque l'on est enclin comme je le suis à dénoncer le népotisme qui phagocyte la culture et les arts en France - et pas que - depuis plusieurs décennies. La manœuvre impliquant une transparence des plus cristallines pour demeurer éthique, je me dois de clarifier dès cette ligne un point inaliénable et nécessaire à la saine poursuite de cette lecture : je n'écris pas sur Indal parce qu'Alexis me le demande (plot twist : il me l'a demandé) ni au nom des liens sacrés de l'amitié qui nous unissent; j'écris sur Indal parce que c'est un putain de bon groupe. Vous apprendrez d'ailleurs bien assez vite que le ciment de notre relation n'est pas tant notre amour commun du IVe art qu'une honnêteté mutuelle et totale avec laquelle en aucun cas nous ne transigeons.
C'est un 21 juin, celui de 2012, que débute mon histoire avec Indal. Une fois n'était - vraiment - pas coutume, j'étais tout sauf d'humeur à festoyer. Mon projet pour la soirée se résumait à m'envoyer une demi-douzaine de bières de supermarché, me faire une session d'écriture d'un roman SF sur lequel je planchais à l'époque - et dont j'effacerai toute trace dès le lendemain une fois les effets du THC et de l'alcool métabolisés, déprimer sur la vacuité de l'existence et m'endormir comme un déchet le joint au bec devant un épisode d'American Dad quatre heures après l'horaire de sommeil prévu, ce qui me ferait arriver en retard - et titubant - au boulot. Le set joué huit mètres en contrebas par un groupe de musiciens fit dégonder bien assez tôt un plan pourtant parfaitement huilé. Fenêtre fermée, je n'entendais que le bruit marron de la basse qui perturbait grandement mon écoute d'Out on the Range de Simply Red. Je l'ouvris donc afin d'identifier l'enflure démoniaque, l'ignoble faquin qui avait décidé de ruiner ma soirée de rêve. Débarrassé du filtre du PVC, je pouvais contempler - et surtout entendre - l'ampleur du "désastre", ou tout du moins les coupables. Ils étaient quatre et jouaient alors un titre que j'identifierai plus tard comme étant Last Train to Babylon. Courroucé, je l'étais, mais ce que j'entendais me faisait l'effet d'une baffe de daron, de celles qui réfrènent immédiatement les ardeurs les plus belliqueuses. Le TKO interviendra peu après avec un morceau, Soul Man, qui me fit comprendre que le destin venait de déposer sous ma fenêtre un futur grand nom du rock, comme la France n'en a sans doute jamais produit auparavant.
Le concert terminé, n'écoutant que mon courage, je décidais d'aller signifier à mes tourmenteurs le fond de ma pensée. Pour tout dire, je n'avais même pas pris la peine de m'habiller : je portais un short de foot reconverti en caleçon et un débardeur Pink Floyd parsemé de trous de boulettes - ce que je trouvais très à propos. Le groupe était particulièrement sollicité par un public de toute évidence enchanté par la performance du soir, tant et si bien qu'il me fallut bien dix minutes avant de pouvoir enfin approcher le chanteur. Il ressemblait vaguement à Eddie Vedder, avec des cheveux plus clairs et des yeux d'un bleu perçant. Il me regardait d'un air jovial mais néanmoins amusé, sans doute en raison de mon accoutrement. Pour être honnête, je ne savais pas comment aborder la conversation. Je n'avais à mon grand regret pas un sou vaillant en poche - ni d'ailleurs de poche - pour leur acheter leur Ep, ce qui annulait fatalement ce prétexte. Je décidais donc de jouer la carte de la franchise, à savoir le noyer sous un torrent de compliments avinés. Il était vraisemblablement mal à l'aise et pressé de décamper - j'apprendrai bien assez vite qu'Alexis est gêné par ce genre de démonstration. Je pense que si on lui avait dit à ce moment-là que l'hurluberlu qui lui accrochait la jambe garderait sa fille dix ans plus tard pendant qu'il jouerait à l'Olympia, il aurait frémit d'horreur. Comme quoi, les premières impressions...
Le petit déjeuner en backstage
Quelques mois après que le groupe eut la fabuleuse idée de jouer sous ma fenêtre pour la fête de la musique, c'est en tant que jeune journaliste que je fis véritablement la rencontre de ceux qui se faisaient alors appeler Lloyd Project, à la suite d'un heureux et très littéral concours de circonstances. C'était il y a un peu plus de dix ans. Peut-être même était-ce il y a dix ans à peu de jours près. A l'occasion de la sortie du clip de Last Train To Babylon, Alexis lança un jeu-concours sur la page Facebook de Lloyd pour gagner un Ep, celui-là même que je n'avais pas pu acheter. Le but était simple : celui qui trouvait le plus de références musicales dans la vidéo raflait la mise. Inutile de vous donner le nom du gagnant je pense. Alexis me contacta afin de pouvoir me faire parvenir l'objet par voie postale. Je déclinais la proposition car j'avais mieux en tête.
A cet instant, il faut préciser un point : Lloyd Project avait très peu de followers à l'époque, une centaine et des brouettes tout au plus, ce que je trouvais désespérant eu égard au talent de la formation. J'écrivais alors de temps à autre sur feu Roads Mag, un site géré par un ami et qui connaissait à l'époque son petit succès grâce à sa couverture très précise de l'affaire Luka Magnotta. Je suggérai donc au groupe de se rencontrer pour me transmettre le CD... Et pouvoir les interviewer dans l'espoir de leur apporter une petite visibilité. Un exercice dont j'étais pourtant assez peu rompu aux rudiments, puisque c'était alors... ma toute première interview. Une entrevue fort mal préparée, qui se déroula à l'OPA Bastille - ancienne mouture de l'actuel Supersonic - une petite heure après mon réveil, où la bière fit office de café. Il faut croire qu'elle s'est plutôt pas trop mal déroulée.
Pour tout dire, notre amitié n'était absolument pas préméditée, ni forcément évidente de prime abord. Si nos dates de naissance sont très proches sur le calendrier et de la même année (Alexis me devance de trois semaines), nos personnalités étaient - et sont toujours d'ailleurs - tout ce qu'il y a de plus symétriquement opposées : là où Alexis est un individu maladivement organisé et mesuré, je suis pathologiquement chaotique et impulsif. Une dichotomie que l'on peut symboliser à travers nos personnages préférés de Star Wars, respectivement Obi-Wan Kenobi pour l'un, Anakin Skywalker pour l'autre. En réalité, la racine de notre amitié a été dans un premier temps notre passion irrationnelle de la musique, avec ses divergences et ses convergences - notamment Supertramp, qui a donné son nom à ce media. Le socle en marbre se consolidera dans un second temps, en vertu d'une capacité mutuelle à se dire frontalement les choses, fussent-elles déplaisantes à entendre. Une particularité relationnelle qui sera sans toute l'accélérateur, sinon à l'origine même de la fin de Lloyd Project et de la création d'Indal.
A la recherche du second souffle et d'une nouvelle ère.
Tout est parti, comme - trop - souvent, d'une conversation particulièrement houblonnée. C'était il y a un an et Alexis se produisait en solo sur la scène du Bar des Sarrazins à Lille, adresse dans laquelle nous avons par ailleurs quelques habitudes - surtout moi. Par manque de chance et plus encore de communication autour de son set - un reproche que je lui ai souvent rabâché, le lieu était inhabituellement peu fréquenté pour un samedi soir, a fortiori pour un concert de reprises. Malgré tout, Alexis livra une performance majuscule dont il a le secret devant un parterre composé d'une douzaine de boit-sans-soif dont la moitié fort de nos potes. Il était, je pense, animé par le calice de la frustration. Et de toute évidence, il l'avait ingurgité jusqu'à la lie du désespoir.
Habituellement, j'ai toujours un mot sympa pour Alexis après une de ses prestations. Pas cette fois. Le mien de calice était baigné de colère et noyé d'un terrible sentiment d'injustice. Comment un mec aussi doué pouvait encore en être réduit à jouer dans un rade désert - nonobstant toute l'affection que je porte à l'établissement - après dix ans de carrière ? N'écoutant comme d'habitude que mon taux d'alcool par litre de sang, je me suis dirigé vers mon ami le micro sitôt débranché pour lui lâcher le genre de phrase qui résonne comme un avis de tempête : "il faut qu'on parle". Et effectivement, la suite m'a fait prendre conscience qu'il fallait vraiment qu'on parle...
Je sentais que musicalement, Alexis et son groupe chassaient les moulins à vent depuis trop longtemps et que sa vaine quête de succès avait achevé de siphonner l'essence même qui fait la vie d'un artiste : sa foi en sa propre musique. Trop d'échecs, trop de belles promesses non-tenues, trop de rêves brisés... Trop. Des destins gâchés, j'en ai malheureusement trop fréquenté, à commencer par mon propre père que la timidité maladive empêcha d'embrasser une existence sans doute plus palpitante. Dans le cas d'Alexis, ce n'était pas tant notre amitié que mon amour du son qui me poussa ce soir-là à lui dire ce qu'on nomme communément "ses quatre vérités".
"Let the past die. Kill it if you have to. It's the only way to become who you were meant to be." (Kylo Ren)
Des talents de son espèce, des voix de ce genre, il y en a une poignée par génération tout au plus. Parmi la nôtre, je place volontiers et sans sourciller Alexis dans la catégorie-reine, quelque part entre Einar Solberg et Daniel Tompkins. Il y a une quinzaine d'années, la France découvrait Steeve Estatoff, candidat victorieux de la sinistre A la Recherche de la Nouvelle Star. En toute objectivité, ce que Steeve Estatoff fait avec son organe vocal dans ses rêves les plus humides, Alexis le fait un lendemain de cuite sous sa douche entre deux dégueulis de Lupulus. Les casteurs de The Voice ne s'y étaient d'ailleurs pas trompés à l'époque, puisqu'ils l'avaient littéralement harcelés pour l'avoir dans leur émission, ce qu'il déclina pour moults raisons qu'il n'est pas de mon ressort d'énumérer ici.
De cette discussion franche résulta la certitude qu'Alexis devait appuyer sur le bouton reset. Il fallait tout reprendre depuis le début, explorer d'autres principes musicaux, quitte à balancer dans la cheminée le matériel en cours - que j'estimais très moyen et peu inspiré - et surtout, bien pire encore : abandonner un projet pour lequel il consacra dix ans de sa vie pour mieux revendiquer la place qui lui revient selon moi de droit : au sommet de l'affiche. Je lui dis à cette occasion que la seule scène à la hauteur de ses capacités musicales, c'était celle de l'Olympia. Ironie de l'histoire, il y jouera huit mois plus tard aux côtés de Gary Clark Jr, l'un de ses modèles. C'est ainsi que Lloyd disparut... Et qu'Indal naquit.
Dancing Clown sera composée peu après. Pour la petite anecdote, j'étais un temps partisan que la formation se renomme The Dancing Clown, nom de groupe que je trouvais accrocheur et qui aurait sied à l'esthétique Art Deco si chère à Alexis. Lui préférait s'appeler Red Exit ou The Black Suit - oui, ça balance. Il optera finalement, probablement pour le mieux, en faveur d'un nom en rapport avec ses origines andalouses et plus en phase avec ses préoccupations climatiques.
Lloyd était un projet assurément talentueux mais beaucoup trop passéiste, probablement en raison des penchants très inclinés d'Alexis pour les sonorités vintages. Le groupe n'est assurément jamais véritablement parvenu à exorciser les influences qui hantaient le combo jusque dans son nom - Lloyd, Floyd... Si Indal ne renie pas nécessairement son héritage, la formation court davantage après la modernité, avec la volonté impérieuse de faire rentrer le rock des 60s/70s de plain-pied dans le XXIe siècle, notamment par l'usage plus volontaire de synthés, là où il s'avérait nettement plus parcimonieux chez Lloyd (The Lane, Dream Overture...). De manière plus générale, Indal est aussi et surtout l'affirmation de l'identité véritable de ses membres, autant sur les plans artistiques qu'humains. Fi des pseudonymes issus du nom du groupe (Alexis Lloyd, Loris Lloyd, Antoine Lloyd...) et relique d'une époque Myspace totalement passée de mode - pour ne pas dire franchement ringarde, les musiciens jouent désormais sous leurs véritables blases (respectivement Perez-Sobrino pour les deux frangins et Ladoué pour Antoine), comme pour définitivement assumer qui ils sont, c'est-à-dire un peu plus que de simples fans de Pink Floyd....
Ce soir, ce ne seront pas les débuts officiels d'Indal sur scène mais c'est tout comme, puisque le groupe aura pour la première fois l'occasion de présenter des morceaux inédits marqués du sceau de ce nouveau projet et non de celui de Lloyd. Des titres qui auront la lourde tâche, non seulement de leur permettre d'affirmer leur nouvelle incarnation mais surtout d'enfin conjuguer le rock, non plus au passé, mais au futur... Et peut-être - enfin - embrasser un destin plus grand et à la hauteur de leur talent, immense s'il en est.
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