Le Rock est-il vraiment mort ?
- Breakfast In Backstage
- 12 sept. 2021
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 oct. 2022
Au menu ce matin, on enterre une bonne fois pour toutes, non pas le Rock, mais ce foutu cliché qui voudrait que le Rock soit mort et re-mort.
Plus qu’une arlésienne, la mort du Rock N’Roll est, pour rester dans les expressions populaires si cher au grand couillon à côté… un très vieux serpent de mer chronologiquement bien plus proche de la machine de Turing que de l’invention de Youtube. Pour autant, on a rarement autant prophétisé la disparition du Rock que depuis l’avènement de l’ère numérique, particulièrement au cours de la dernière décennie. Les années 2010 ont en effet ressemblé à un long chemin de croix pour ce bon vieux Rock N’Roll, en proie à de multiples comorbidités avant même l’émergence du Covid-19. Dans l’esprit du plus grand nombre, il était acté que le genre vivait ses dernières heures. La presse, spécialisée ou non, avait d’ailleurs déjà rédigé la nécro’ et était prête à le draper de son linceul. Ainsi le 29 Décembre 2019, le magazine Gonzai publiait sur son site un billet intitulé “Pourquoi il faudra tuer le Rock en 2020?”. Six mois plus tôt, c’est le journal Sud-Ouest qui s’enquérait de son état de santé dans un article sobrement baptisé “Le Rock N’Roll est-il en train de mourir ?”. S’ils avaient pris le temps d’utiliser Google, ils auraient pourtant vu que cette question, Vice y avait répondu deux ans plus tôt le 18 Juin 2018. Nous étions à deux jours de vivre notre avant-dernière fête de la musique avant trop longtemps et le journaliste Dan Ozzi l’annonçait formellement : “Le Rock est mort, enfin”.
En réalité, la mort du pur Rock N’Roll ne date pas de la dernière pandémie, mais de la fin des années 50, grosso modo quand sa première icône Elvis a troqué sa guitare contre un bon vieux fusil d’assaut. En 1958 le King est appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire, reniant les idéaux anti-establishment du genre et laissant derrière lui toute une génération orpheline de modèle de contre-société… En attendant les suivants.
Mais du coup, pourquoi diantre cette obstination à vouloir enterrer le Rock six pieds sous terre, alors même que celui-ci est mort plus de fois que Sean Bean à l’écran ? Flashback !
LE "NEW DEAL" DE L'AN 2000
Pour bien comprendre cet empressement à achever la bête, il faut remonter à la fin du précédent millénaire. Au-delà de la symbolique de la date, le passage à l’an 2000 est profondément marqué par l’avènement du nouveau prodige de notre civilisation et des nombreuses interrogations sociétales qui l’accompagnent : Internet. Ce n’est cependant pas sur ce point que nous allons d’abord nous pencher, mais sur un autre, plus anodin, que la grande histoire tend généralement à négliger : la fin de la domination du Rock sur l’industrie musicale.

Depuis les années 50, le Rock est intimement lié à l’industrialisation de la musique. Avec le succès des membres du Million Dollar Quartet composé de Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, Carl Perkins et, bien sûr, Elvis Presley, les disques ont commencé à être produits et vendus en quantité… industrielle. Logique. De fait, au-delà de son influence culturelle sur la société occidentale qui relève indéniablement du Soft Power, le Rock N’Roll est avant tout un colossal dominion commercial. Et cette hégémonie sur les charts va s’effriter au tournant des années 2000.
Les années 90 avaient pourtant bien commencé pour le Rock. En 91, Metallica devient le symbole de la fin de la guerre froide avec sa performance légendaire aux Monsters of Rock de Moscou, devant une foule proprement impossible à quantifier. Rétrospectivement, James Hetfield n’entonnera pas ce jour-là uniquement le chant du cygne du soviétisme, mais aussi celui d’une époque, d’une génération… Et par là-même du Rock.
Alors certes par la suite, le Rock a eu son lot de têtes d’affiche. Durant la seconde moitié de cette décennie, la Britpop se chargera de ressusciter l’esprit du Swing londonien des sixties. Mais les conflits fraternels entament prématurément et au sens littéral la carrière de ses étoiles, et leur influence reste principalement européenne.
Or, si en 90 les USA ont remporté la guerre froide, en 2000 ils ont maintenant gagné celle des esprits.
Le premier printemps du nouveau millénaire voit fleurir sur les balcons de France et de Navarre un bien étrange bourgeon : les paraboles satellites. MTV débarque sur les télévisions françaises le 20 Juin 2000. A cette date, l’influence de la musique américaine sur la jeunesse hexagonale devient donc plus que prégnante. Et la musique américaine du moment, ce n’est plus le Rock.
A l’aube de l’an 2000 pour les jeunes c’est donc plus le même deal : le Rock est déjà devenu “la musique de Papa”. Voilà une décennie qu’il n’a plus dominé les charts et sa suprématie est désormais plus que contestée par le Hip Hop. Dr. Dre, Tupac et Jay-Z ont remplacé Nikki Sixx, Axl Rose et Chris Cornell sur les murs des chambres et dans les baladeurs CD des jeunes. A mesure que la popularité toujours plus montante du Rap a commencé à empiéter sur les plate-bandes du Rock, la relation entre ces deux genres autrefois très proches a fini par s'émietter. Un peu comme un petit frère qui commencerait à rendre ses coups au grand. Et ce petit frère s’appelle Eminem. En 1999, le dénommé Marshall Mathers foudroie le game avec The Slim Shady LP. Le nouveau héros des sales gosses, la nouvelle Rockstar des ados est maintenant… Un rappeur.
L’enfant terrible de Detroit enfonce le clou comme Ponce Pilate l’année suivante. Le 23 Mai 2000, un mois avant le lancement de MTV France, Eminem sort son LP éponyme. Ce ne sera pas un raz-de-marée mais un Tsunami. The Marshall Mathers LP est le premier carton planétaire du nouveau millénaire et s'écoule à 27 millions de copies.
En 2000, la guerre des ondes entre le Rock et le Rap est donc déclarée, et elle est bien mal engagée pour le Rock.
Le carton d’Eminem aura l’effet d’un Sucker Punch pour le Rock, complètement séché par ce rappeur blanc qui, de par ses influences musicales et son parcours de vie, aurait en d’autre temps été assurément dans ses rangs. Dans les cours de récré et, déjà, sur les forums, des tensions commencent à apparaître entre les partisans des deux chapelles. L’époque où Run DMC et Aerosmith abattaient les murs séparant les deux mondes semble aussi lointaine que révolue.
Le Rock, qui s’est un demi-siècle durant constitué un Empire au sommet des charts, se devait de contre-attaquer. Problème : à cet instant le Rock ne le sait pas encore mais il est déjà mort. Encore. Il n’était donc pas tant question de livrer un combat aussi vain que perdu d’avance que d'œuvrer à sa réanimation.
En guise de réplique, nous aurons donc, non pas un duel de générations, mais un armistice sans condition. Celui-ci intervient le 24 Octobre 2000 et porte un nom : Hybrid Theory.
Le carton fulgurant d’Hybrid Theory, du jamais vu à ce niveau pour un premier album depuis Appetite For Destruction, va valoir à Linkin Park la pire des étiquettes possible : celle de groupe commercial. Trop Rock pour le Rap, trop Rap pour le Metal, trop Metal pour le Rock et surtout trop Pop pour les trois, Linkin Park va se mettre à dos les puristes de chacun de ces courants et diviser comme peu d’artistes avant eux. Mais qu’on le veuille ou non, Hybrid Theory est un album majeur de notre époque, et ce à de multiples égards. Le premier opus de Linkin Park est, en dépit des apparences, un véritable retour aux fondamentaux du Rock.
Qu’est-ce que le Rock au départ sinon un Syncrétisme musical ?
Souvent perçu comme la gentrification du Blues, le Rock N’Roll est initialement une fusion de deux genres sociologiquement bien distincts : d’un côté la musique noire avec le Rythm & Blues et de l’autre la musique blanche avec la Country. Un raccourci courant veut d’ailleurs que le Rythm & Blues soit joué par les populations afro, la Country par les blancs et le Rock N’Roll par tout le monde.
La musique de Linkin Park se trouve en effet au centre d’une triangulation, à égale distance du Rap afro-américain, du Metal majoritairement écouté par des Blancs et de la Pop, écoutée quant à elle… Par tout le monde. Hybrid Theory porte ainsi particulièrement bien son nom, butinant à tous les râteliers sans renier aucune de ces paroisses, pourtant profondément antagonistes les unes des autres au moment de la sortie de l’album.
Relevons d’ailleurs ici que Linkin Park a confié à un certain Andy Wallace le mixage de l’album, un ingé son lui-même connu pour sa polyvalence, puisqu’il a collaboré avec un spectre d’artistes allant de Slayer à Jeff Buckley, en passant par Faith No More et Sheryl Crow. Bon et puis, son premier fait d’arme, c’est un certain duo entre Aerosmith et Run DMC...
Avec près de 30 Millions de CD écoulés, Hybrid Theory sera le premier carton du millénaire pour un album catégorisé Rock/Metal… Mais aussi et malheureusement le dernier à atteindre ces cîmes depuis. Car peu après sa sortie, l’industrie musicale va subir un événement directement lié à l’essor d’Internet qui va profondément ébranler ses fondations...
Entre 2000 et 2003, il se produit un événement majeur qui va durablement marquer son époque. Non, pas les attentats du 11 Septembre 2001, mais une autre explosion : celle du Peer-To-Peer.
Avec l’arrivée progressive du haut débit et la démocratisation de l’Internet, Napster, Limewire et Kazaa vont faire des eMule : c’est l’âge d’or du téléchargement illégal, âge d’or qui ne prendra fin que des années plus tard avec l’avènement du Streaming. Les ventes d’albums chutent de manière cataclysmique. Logique, pourquoi donc payer 20€ un produit que l’on peut se procurer gratuitement ? Internet en est à peine à ses balbutiements et les puissants de ce monde, les grandes pontes de l’industrie musicale incluses, sont assez nettement à la traîne par rapport aux utilisateurs lambdas. Les labels totalement dépassés par le phénomène vivent ce que l’on appelle alors la crise du marché du disque.
LE ROCK FAIT SA CRISE DE LA CINQUANTAINE
La crise du marché du disque va profondément marquer les années 2000. Et pas que musicalement.
Elle représente en effet le premier symptôme d’un bouleversement beaucoup plus large : l’essor d’Internet. Les flux d’informations, de données et de biens voyagent désormais aux frontières de l’instantané. Et l’humanité avec. La société vit ainsi à l’époque une véritable révolution, sans que grand monde s’en rende vraiment compte.
Nan parce qu’il faut bien comprendre qu’il y a vingt ans, envoyer un email (pardon, un courriel), c’était déjà Objectif Lune.
Alexis : Aujourd’hui en 2021, on commence tout juste à prendre conscience des possibilités offertes par le numérique. Et il aura fallu attendre une pandémie mondiale pour que l’on prenne conscience de l’espace qu’occupe Internet dans nos sociétés. Autant dire qu’au début du millénaire, Internet c’était quelque chose de nébuleux pour le commun des mortels. Rares étaient ceux à entrevoir le bond en avant technologique que représentait Internet… Et bien plus rares encore ceux qui mesuraient à quel point le vide entre les deux bords serait vertigineux.
Et l’industrie musicale, elle… Elle sautait sans parachute. Flashback... encore !
Kevin : En 1877, Thomas Edison dépose le brevet du phonographe, donnant ainsi naissance à la musique enregistrée. Trois ans plus tard, en 1880, Graham Bell, qui est aussi l’inventeur du téléphone… [Allo Chérie, tu devineras jamais d’où je t’appelle] construit le graphophone, évolution directe du phonographe. Cependant, ni Edison ni Bell ne prendront conscience du potentiel commercial de leurs joujoux… Contrairement à l’ingénieur allemand Emile Berliner. En 1887, Berliner dépose le brevet du gramophone. L’objet marque un tournant technologique considérable, permettant pour la première fois de dissocier les processus d’enregistrement et de reproduction. Dès lors, il devient possible de reproduire de multiples disques à partir d’un master unique.
Oui parce qu’avant le gramophone, chaque disque était le fruit d’un enregistrement distinct. Pour bien comprendre l’avancée incroyable que représente cette invention, imaginez seulement si Michael Jackson avait dû enregistrer chacun des albums qu’il a vendus.
On a calculé et en partant du principe qu’il n’aurait loupé aucune prise avec, au pifomètre, allez on va dire un enregistrement de deux heures par disque… Il lui aurait fallu un peu moins de 230 000 ans pour contenter tout le monde.
Alexis : Berliner commercialise donc le Gramophone en 1896 et l’appareil rencontre sans surprise un immense succès. A compter de cette date, l’écoute de musique enregistrée se propage jusqu’à devenir le divertissement de masse que l’on connaît. Mais dans les années 20, tout s’effondre avec l’essor de la Radio. Les ventes de Gramophones passent de 106 millions de dollars de chiffre d'affaires en 1921 à 6 petits millions en 1933. Dans un contexte post-krach boursier, le marché musical d’alors s’enfonce dans sa toute première crise. Il faudra attendre la fin de la Guerre pour voir poindre la relance, avec deux événements qui vont redéfinir en profondeur le IVe art et engendrer l’industrie musicale telle que nous la connaissons aujourd’hui : l’invention du microsillon en 1948. Et celle du Rock N’Roll grosso merdo au début des années 50.
C’est donc d’une crise du marché du disque qu’est né le Rock N’Roll. Et comme le veut le célèbre adage : qui triomphe d’une crise du marché du disque périra par la crise du marché du disque.
Comme le fit la Radio avec le Gramophone, Internet va donc directement menacer le modèle économique de l’industrie musicale, qui reposait alors quasi-exclusivement sur la vente de disques. Autrement dit : sur la copie de données vendues comme un service. Or sur Internet, la copie d’information ne coûte quasiment plus rien. Donc autant dire que les prix des disques n’étaient plus très compétitifs... Ajoutez à cela des consommateurs habitués à la gratuité sur ce Web pré-Amazon et vous obtenez la troisième grande crise du marché du disque (oui la troisième, on va y revenir).
Ce que l’on nomme “crise” peut d’ailleurs totalement être qualifié de crash. Entre 2003 et 2008, l’industrie musicale va voir sa valeur diminuer de moitié. Le tout alors même que les ventes de disques n’avaient jamais été aussi élevées qu’à la fin des années 90. Et le fléau était bien entendu mondial ou tout du moins, prégnant au sein de chacun des pays où plus de la moitié de la population avait accès à Internet. Pour le seul marché Français, on dénombre ainsi les pertes sur cette période à près de 606 millions d’Euros.
Et le coupable était tout trouvé : le téléchargement illégal.
Début 2009, La Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique estimait que 95% de la musique circulant sur le Web était le fruit d’un piratage de données. Autant dire que le Rock était loin d’être l’unique genre concerné par la crise, ni le seul à s’en plaindre d’ailleurs. C’est toutefois lui qui en pâtira de la façon la plus spectaculaire. Les raisons sont multiples mais la première demeure directement liée à la crise du marché du disque : la baisse des ventes d’albums.
Dans l’imaginaire collectif, le nombre d’albums écoulés était, et est encore d’ailleurs, une sorte de label prestige que les artistes pouvaient brandir comme un trophée. Littéralement puisque des récompenses sont distribuées selon ces mêmes ventes, les fameux disques d’argent, d’or, de platine et de diamant. Les artistes Rock du début du millénaire ont donc été avant tout victimes d’un contexte économique défavorable. En vendant moins d’albums que les générations précédentes, d’aucuns ont pu y voir une perte d’influence du Rock sur le paysage musical.
La crise du marché du disque a donc révélé au grand jour ce que beaucoup ont longtemps prophétisé : le déclin du Rock. Mais elle fut davantage et comme souvent une conséquence bien plus qu’une cause.
Entre la crise des années 30 et celle des années 2000, le marché du disque a connu une autre période de turbulence : la fin des années 70. La situation ressemblait alors à celle des années 30, avec une économie qui se mange deux chocs pétroliers dans la tronche. L’année 79 voit la vente de vinyles chuter brutalement, de 11% en Angleterre et de 20% aux USA, qui étaient alors les deux plus gros marchés d’Occident. On pointe alors un coupable : la copie illicite de données. Déjà.
Les industriels considèrent que les copies de disques sur cassettes vierges sont responsables de la baisse des ventes observée. Une étude réalisée par CBS en 1980 soutient que la copie de musique sur cassettes vierges coûte des centaines de millions de dollars à l’industrie du disque. La Recording Industry Association of America lance d'ailleurs une campagne intitulée « Home Taping Is Killing Music » (« les copies sur cassettes tuent la musique ») et milite pour le reversement des montants perçus sur les ventes de cassettes vierges aux Labels.
L’Histoire n’est jamais qu’un éternel recommencement.
Kevin: Cette crise qui prendra fin avec l’arrivée des compact disc n’aura pas tué le Rock, mais le Disco. En 79 sortent d’ailleurs quatre albums parmi les plus vendus de l’histoire du Rock : London Calling des Clash, Dynasty de Kiss, Breakfast In America de Supertramp, The Wall de Pink Floyd. La crise n’explique donc pas tout. Le fait est que dans les années 80, le Rock était toujours un genre bouillonnant de créativité, avec l’avènement de nombreux genres portés par des groupes parfaitement en phase avec la jeunesse de l’époque et amenés à devenir iconiques.
A l’orée du nouveau millénaire, le Rock est déjà un genre déclinant et son public autant que ceux qui le jouent, ne sont plus dans leur prime jeunesse. La crise du marché du disque sera de fait plus douloureuse encore pour le Rock que pour les autres genres musicaux. En cause, un modèle économique désormais totalement obsolète... Et surtout une certaine difficulté d’adaptation aux nouveaux paradigmes induits par le numérique. Une difficulté à vivre avec son temps propre à ceux que l’on appelle pas encore les Boomers, et qui constituent la majeure partie du public Rock. Le principal problème de la scène Rock des années 2000 est ainsi avant tout générationnel, avec en point d’orgue un renouvellement pour le moins laborieux au niveau de ses têtes d’affiche. Que ce soit Linkin Park, Coldplay, Muse, Arcade Fire ou les Strokes, tous les groupes majeurs qui ont émergé dans les années 2000 ont en commun d’avoir souffert de la comparaison avec leurs glorieux aînés.
C’était d’ailleurs la question principale qui a animé la création de notre première vidéo il y a sept ans : qui a posé son foutu cul sur le trône de fer du Rock. Et à l’époque, on était passé un peu à côté de la seule vraie réponse valable : personne. Car au-delà de toute considération économique, le Rock des années 2000 souffre d’un mal plus enraciné encore et que l’on prédit désormais au Hip Hop : l’embourgeoisement.
La scène Rock est, comme chacun le sait, originellement prolo. A partir des années 70, le Rock va subir une première mutation avec l’arrivée d’artistes issus de milieux plus aisés et qui vont contribuer à anoblir ses notes. Autant de Pink Floyd, de Deep Purple ou de Soft Machine qui se rencontrent sur les bancs des plus prestigieuses universités et qui donneront naissance à un courant que vous connaissez sans doute très bien : le Rock Progressif. Une élévation sociale qui ne sera pas du goût de tout le monde. Du rejet du Prog émergea le mouvement Punk, qui impulsera une scission encore à l’ordre du jour au sein de la galaxie Rock : l’avènement du Thrash Metal et de la Cold Wave qui mèneront à leur tour à une multiplications de courants et de sous-genres aux obédiences disparates.
Et donc tout ça pour en venir où ? Eh bien la scène Rock au début des années 2000… Elle est plus diluée qu’une bouteille de Smirnoff Ice.
Malgré la contestation Punk, le processus de gentrification du Rock amorcé dans les années 70 ne s’est jamais véritablement enrayé. Il continuera d’imprégner la scène jusqu’à l’extirper totalement de ses racines populaires et devenir au tournant des années 2000… Un genre bourgeois-bohème. Il existe d’ailleurs tout un tas d’études sociologiques qui démontrent une élévation sociale des amateurs de Rock. En clair, le public Rock est majoritairement composé de personnes disposant d’un haut niveau de revenus et ayant fait de longues études. Et c’est aussi vrai pour ceux qui en jouent. Chris Martin de Coldplay est le fils d’un magistrat et d’une professeure de musique, Matthew Bellamy de Muse, est le fils de George Bellamy, guitariste d’un groupe à succès des années 60 quand Julian Casablancas des Strokes et le fruit de l’union entre Jeannette Christianssen, Miss Danemark 1965 et John Casablancas, patron et fondateur de la célèbre agence de mannequin Elite.
Les années 2000 ont donc été particulièrement népotiques pour le Rock, avec un paquet de groupes de fils à papa écoutés par d’autres fils à papa, conservant une sonorité et un instrumentarium Rock, mais sans en contenir la sève contestataire originelle : le fameux esprit rebelle et transgressif qui fit jadis sa gloire. Et dans une époque où la jeunesse est de moins en moins insouciante et de plus en plus préoccupée par les affaires du monde, avec un retour en force de la lutte des classes et un rejet justement des “élites”, forcément, la popularité du genre en a grandement souffert.
Bon alors... est-ce que le Rock est mort ?
Non, le Rock n’est pas mort. Pas plus que la musique Classique ou le Jazz avant lui. Les crises ont toujours ceci de formidable qu’elles redistribuent les cartes et permettent de métamorphoser en profondeur le monde des arts. Et même le monde tout court, pour le pire… Mais aussi le meilleur. L’explosion des Radios dans les années 30 marqua aussi celle de la chanson populaire, au détriment de la musique savante dont le modèle reposait sur la vente de partitions. C’est durant cette période que naquirent les premiers genres majeurs de ce que l’on appelait pas encore la musique Pop, à commencer par le Swing et bien sûr, le Jazz. Deux genres qui, à leur tour, tomberont en désuétude avec l’arrivée du Rock N’Roll… Sans pour autant disparaître. A l’instar de la musique savante, le Jazz s’est élevé artistiquement pour devenir un genre élitiste, à mesure que son auditoire s’est élevé socialement.
L’avenir du Rock est sans aucun doute amené à suivre la même trajectoire que celle de ses aînés, à savoir : devenir un genre d’élite. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’au cours des décennies à venir, des groupes comme les Beatles, les Pink Floyd ou Queen deviendront les Mozart, Bach ou Beethoven du futur. Les groupes des années 60/70 comptent déjà un nombre incalculable de tribute band qui jouent leurs répertoires aux quatre coins du globe, comme le font les plus prestigieux orchestres avec les livrets de Vivaldi, Wagner et autres Rachmaninov, démontrant que si les musiciens sont fatalement mortels, leurs musiques, elles, demeurent un patrimoine éternel.
Et si on peut parler de déclin commercial du Rock, artistiquement… Il n’a peut-être jamais été aussi foisonnant.
On vous parlait en début de page de ces nombreux articles qui pullulent depuis des années annonçant la mort du Rock. Eh bien en Mars 2021, un certain Gaston écrivait un papier intitulé “Le Rock est mort… Encore”. Dedans, ce cher Gaston qui est décidément le meilleur, expliquait qu’il n’y a en réalité jamais eu autant de morceaux Rock sortis qu’au cours de la dernière décennie. De manière générale, le Rock n’a jamais connu de déclin créatif puisque depuis sa naissance, chaque décennie surpasse la précédente en matière de production Rock. Si l’on se réfère aux données fournies par Discogs citées dans l’article, il y a ainsi eu plus de titres Rock sortis sur la seule année 2020 que durant toute les années 50 réunies.
Et plus qu’une musique, le Rock est avant tout un état d’esprit.
Et vu le contexte… Il est pas prêt d’être exorcisé.
Le Rock est une transgression née de deux courants antagonistes unis sous une même bannière. Et cet héritage spirituel ne s’est jamais évaporé. Des Beach Boys à Linkin Park, en passant par les Clash, tous les groupes se revendiquant du Rock ont à un moment ou un autre aboli des frontières artistiques farouchement gardées, en étant systématiquement critiqués par leurs contemporains. Ce qui est généralement le propre des visionnaires.
Les groupes et artistes Rap et Electro sont aujourd’hui de plus en plus enclins à s’ouvrir à des sonorités Rock. Et l’inverse est vraie aussi. Autant de Machine Gun Kelly, de The Weeknd, de Yungblud ou de Twenty One Pilots qui naviguent entre les deux océans, brisant à leur tour les frontières et perpétuant un héritage quasi-séculaire d'irrévérence et d’ouverture.
On ne sait pas de quoi demain sera musicalement fait. Mais il est certain que de ces moults métissages sonores naîtront de nouveaux genres descendants du Rock. Des genres qui, à leur tour, sauront bouleverser l’ordre établi et raviver une flamme qui ne s’est jamais vraiment éteinte…
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